L’IA est-elle un progrès ou un danger ?

Pour notre premier billet sur le progrès, nous allons traiter un sujet d’actualité : l’intelligence artificielle, IA en abrégé (ou AI pour Artificial Intelligence en Anglais).

L’IA est entré de plein-pied dans l’actualité fin 2023 avec la sortie officielle de ChatGPT de l’entreprise OpenAI. Cette start-up a été financée par Microsoft et Elon Musk, nous sommes donc en droit d’être méfiants envers leurs produits.

Techniquement, l’IA est un outil informatique qui permet de traiter des données de manière autonome sans intervention humaine. La programmation de l’IA est faite sur plusieurs principes comme des systèmes experts ou réseaux de neurones. Elle peut être utilisée pour la reconnaissance de formes, d’images, de textes, et peut aussi, depuis OpenAI justement, être utilisée pour créer ces mêmes données. Le principe de base de l’IA est que l’on présente à l’outil un très grand nombre d’exemples sur lesquels le logiciel « apprend » en déterminant des variables d’état internes. Ensuite le logiciel peut utiliser cet apprentissage soit pour extrapoler des données qu’il n’a jamais vues mais qui ressemblent à des données précédentes, soit pour créer des nouvelles données qui ressemblent à des données apprises tout en étant différentes. Ainsi, l’IA permet de créer des images de chats qui n’ont jamais existé mais qui sont plausibles, ou créer des textes nouveaux qui ne veulent rien dire mais sont linguistiquement justes.

Bien que l’IA soit entré dans l’actualité récemment, le domaine de recherche existe depuis des décennies. La raison de l’émergence actuelle est probablement la puissance de calcul et la quantité de mémoire vive nécessaire pour faire fonctionner ces logiciels avec des bases de données gigantesques. Ces puissances de calcul ne sont disponibles que depuis peu.

Alors, que pouvons nous penser de l’IA : est-ce un danger digne de Terminator et de Matrix qui mettra l’Humanité en danger, ou est-ce la nouvelle technologie d’avenir qui remplacera Internet ? Selon moi, ce ne sera ni l’un, ni l’autre, mais le négliger serait un très grande erreur de la part de notre société.

J’ai joué par curiosité avec ces nouveaux outils ces derniers mois, et mon expérience est mitigée : on peut certes créer des images et des textes qui ressemblent à la réalité d’un façon étonnante, mais en même temps je ne vois pas bien l’intérêt de créer des images de chats virtuels alors qu’Internet est déjà rempli d’images de chats réels. On peut créer une photo du Pape François 1er habillé d’une doudoune blanche avec un réalisme époustouflant … mais c’est un peu comme pisser dans un violon : c’est rigolo mais ça ne sert à rien. On peut aussi créer des poèmes en alexandrins avec des rimes tarabiscotés … et puis après ? On peut donc créer des oeuvres réalistes facilement, mais dans l’ensemble les oeuvres ainsi créées n’ont aucune utilité. On peut créer des fausses images porno avec des stars mondialement connues, mais c’était déjà possible avec les éditeurs d’image actuels.

L’autre résultat de mes expériences est que si on demande à l’IA des questions qu’il n’a jamais rencontré, il va répondre n’importe-quoi. Et par n’importe-quoi je veux dire que c’est vraiment n’importe quoi : il va citer des références scientifiques inexistantes, il va créer des objets impossibles, il va inventer des évènements historiques inexistants … le tout avec un réalisme photographique et linguistique époustouflant. Un exemple : quelqu’un a demandé à ChatGPT de créer une carte de veux pour la nouvelle années 2024. L’IA a alors créé une carte de veux avec des décorations magnifiques, dans pleins de styles demandés … mais n’a pas été capable d’écrire « 2024 ». L’utilisateur a tenté d’expliquer comment corriger l’image, le ChatGPT a corrigé à chaque fois mais sans jamais avoir été capable de créer une simple carte de veux 2024. L’explication est toute simple: pour l’IA générative le nombre 2024 n’est qu’un succession de pixels, il ne connaît pas les nombres en tant qu’objets numériques.

Cela ne veut pas dire que l’IA est inutile, car j’ai aussi rencontré des utilisations scientifiques réelles : un des sujets de recherche au CNRS concerne les débuts de l’Univers, et une méthode pour cela est l’étude des formes des galaxies. Or, il y a des milliards de galaxies dans l’Univers observable, et il est impossible de les regarder individuellement. Dans ce cas, montrer quelques formes de galaxies types à l’IA permet ensuite de classer les milliards de galaxies observées et d’en déduire des paramètres des équations régissant les lois de la physique. Sans IA ces études seraient impossibles.

Une autre utilité de l’IA est la capacité à résumer des articles longs et complexes : comme on lui présente un objet qu’il connaît, l’IA s’en sort très bien et il est capable de créer une version courte et synthétique. De la même manière, l’IA serait capable de présenter une interface automatisée pour les clients en ligne, un peu comme une FAQ – Foire Aux Questions – amélioré. Une autre utilité déjà assez ancienne est la reconnaissance de formes pour des robots manipulateurs, qui peuvent alors manipuler des objets présentés dans des orientations aléatoires.

En d’autres termes, l’IA est un outil qui peut avoir des utilisations industrielles et scientifiques réelles et utiles, en plus d’utilisations ludiques et démonstratives.

On voit aussi que l’IA peut remplacer le travail humain dans certains domaines, et ainsi réaliser les tâches – parfois bien rémunérées – de travailleurs humains. Un de ces domaines sera la traduction automatique de textes dans diverses langues : là les LLM – Large Language Models – seront particulièrement efficaces. Mais ce n’est guère différent des robots sur des chaînes de montage industrielles, ou des logiciels de bureautique remplaçant les secrétaires. Oui, le progrès rend certains emplois redondants, comme la presse à imprimer a rendu le travail des moines copistes obsolète.

Cette liste des caractéristiques de l’IA pourrait suggérer que leur défauts et dangers sont supérieurs à leur utilité espérée, et on pourrait être tenté de vouloir les réglementer, voire de les interdire. Ce serait, à mon avis, une très grosse erreur politique.

En effet, l’IA étant un outil, c’est l’utilisation abusive de cet outil qui peut poser problème, pas l’existence de l’outil lui-même. Le monde étant ce qu’il est, d’autres pays ne se gèneront pas pour développer ces outils, et ils leur trouveront certainement des applications à la fois novatrices et utiles. Si la France se coupait de ces développements, les Français seraient doublement perdants: non-seulement nous n’échapperions pas à l’IA mis en oeuvre par d’autres pays qui en profiteraient, mais en plus nous courrerions le risque de ne rien comprendre à ce que ces autres pays, éventuellement peu amicaux, font de l’IA. Nous serions donc à la fois pauvres et aveugles. Ce ne serait certainement pas dans l’intérêt des Français.

L’exemple des OGM – dont la comparaison serait tentante – n’est pas pertinant car les OGM sont des produits physiques dont on peut contrôler la circulation, alors que l’IA est de l’information qui circule librement par Internet. On ne pourra donc pas en interdire ni l’existence ni l’utilisation.

En conclusion, et selon moi, nous devons considérer l’intelligence artificielle comme un progrès technologique inévitable, qu’il serait suicidaire – pour la société Française – de vouloir interdire, et que, a contario, il est très important d’être à la pointe de ce savoir-faire. C’est en comprenant cet outil que nous pourrons en faire le meilleur usage, pas en le refusant à priori.