L’autre jour j’ai envoyé une lettre à ma députée. Je voulais lui faire part de mon inquiétude quant à la situation en Ukraine, et ce qui allait en être dit et voté dans l’enceinte du palais Bourbon à ce sujet. Elle m’a répondu, merci à elle, et du coup j’ai pris un peu de mon temps pour regarder ces fameux débats du 12 mars.
je n’ai pas tout vu, bien entendu, mais je dois noter que l’interface graphique du site des vidéo de l’Assemblée nationale est bien faite. Cela nous change des plateformes étasuniennes, où sont hébergés la plupart des contenus des ministères à l’attention des administrés.
Je reviens sur deux interventions. La principale, celle du Premier ministre Gabriel Attal ; et celle de Jean-Louis Bourlanges, Président de la Commission aux affaires étrangères.
On commence par le premier de la classe. Bien peigné, il dépeint la situation pour faire voter l’accord de coopération signé par Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky. Enfin c’est ce qu’il dit, car la Constitution dit sensiblement autre chose.
La Constitution dit, je la cite dans son article 50-1, que « le Gouvernement peut […] faire, sur un sujet déterminé, une déclaration qui donne lieu à débat et peut, s’il le décide, faire l’objet d’un vote sans engager sa responsabilité. »
Donc on est bien d’accord, c’est la déclaration qui peut faire l’objet d’un vote, et pas le texte de l’accord, dont personne au demeurant n’a vu la version signée, ni contrôlé la stricte équivalence en langue ukrainienne. Mais ce n’est qu’un détail bien entendu.
Ce qui l’est moins, c’est l’insistance du Premier ministre sur la perspective d’une victoire de la Russie. Il va employer pas moins de neuf fois l’expression « une victoire de la Russie », à un tel point que cela en devient gênant.
Il fait cela d’une manière répétitive, pour faire peur aux Français, c’est un procédé réthorique. Sauf que ses exagérations sont si grossières, qu’elles n’auront peut-être pas le résultat escompté. Il prédit par exemple, dans le cas d’une victoire de la Russie, « une inflation alimentaire puissance 10, une explosion des prix de l’énergie puissance 10 ».
Il ne se rend pas compte que pour beaucoup c’est déjà compliqué à partir du 10 du mois. Mais cela est monnaie courante chez ces élites déconnectées de la réalité. Et à sa décharge, il est de son devoir d’homme politique de nous faire rêver.
Cependant nous le public ne nous contenterons pas d’une évocation onirique d’une victoire de la Russie. Nous voulons savoir exactement ce que signifie une victoire de la Russie, et Jean-Louis Bourlanges va nous donner la réponse.
Ce fin connaisseur des relations internationales a très bien compris les objectifs de Vladimir Poutine. Il en a trois. Et, très important, « s’il n’atteint pas ces objectifs, Poutine perd la face aux yeux du monde et de son peuple ». Il suffit donc qu’il échoue sur l’un d’entre eux, pour que la Russie perde, et que l’Ukraine gagne.
Ou pour être moins binaire, trois objectifs sur trois, c’est une victoire totale de la Russie ; zéro objectif sur trois, c’est une victoire totale de l’Ukraine. Un objectif et demie, match nul. Alors, ces objectifs, quels sont-ils concrètement ?
Le député Bourlanges les énumère : le premier concerne les aspects territoriaux. Il s’agit bien entendu du Donbass, et d’Odessa. Étrange absence de la Crimée et de la région de Berdianks dans cette liste, mais en bon prince l’Occident veut bien laisser quelques miettes à la Russie.
Une remarque s’impose alors, si le Donbass et la région d’Odessa comptent pour un demi point chacun, pour l’instant c’est le match nul. Et encore, c’est être bien gentil avec les Russes, car si la région d’Odessa est encore 100% ukainienne, les Russes sont loins d’avoir envahi tout le Donbass.
Le deuxième objectif est politique, c’est avoir un gouvernement fantoche à Kiev, aux ordres de Moscou. Si la guerre s’arrête maintenant, c’est un point pour l’Ukraine.
Le troisième objectif maintenant. C’est le plus délicat, car il concerne le traité de paix. Or tant qu’il n’est pas écrit, on ne peut pas savoir ce qu’il y a dedans. Il s’agit de la possibilité pour l’Ukraine d’intégrer l’Union européenne et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.
Quand je dis possibilité cela veut dire que la Russie n’interdira pas ces adhésions. Mais en a-t-elle les moyens ? D’autre part, même si les Russes ne sont pas enclins à négocier, n’accepteront-ils pas cet état de fait, en échange d’une reconnaissance des frontières de 2024 par la partie ukrainienne ?