Les apprentis sorciers

Avec le succès commercial des injections à ARN messager, on peut se poser une question simple : l’ARN messager, c’est quoi ? Après tout, nous consommateurs de denrées alimentaires faisons parfois attention à la liste des additifs qui se retrouvent dans nos assiettes. Alors pourquoi ne nous informerions pas sur cette molécule, au coeur d’une solution qui a été injectée des milliards de fois au cours des deux dernières années ? Dans nos bras, ceux de nos parents, ceux de nos enfants.

La généticienne Alexandra Henrion Caude a écrit un livre intitulé Les apprentis sorciers, qui propose de vous faire découvrir « Tout ce que l’on vous cache sur l’ARN messager ». L’auteure est une spécialiste du domaine de l’ARN, puisqu’on lui doit la découverte d’un certain type de microARN, les MitomiR, qui jouent un rôle important entre la cellule et ses centrales énergétiques, appellées mitochondries.

Mais c’est à une autre partie de la cellule, le noyau, qu’est habituellement associé le concept d’ARN. En effet, le noyau est le coffre-fort génétique de la cellule. C’est un coffre-fort assez particulier puisqu’il ne contient ni gemme ni diamant. Il contient des livres. Il contient des livres sous forme d’ ADN, composés de mots, eux-même composés de lettres, dans un alphabet qui n’en contient que quatre : A, C, G et T.

C’est donc le noyau qui détermine le comportement de la cellule (régulation énergétique, reproduction, mort, etc.), puisque tout est écrit dans les livres. Reste à savoir comment les lire, et comment passer du savoir à l’action (réactions chimiques, constructives ou destructives). C’est là qu’interviennent les molécules d’ARN, écrites dans une langue assez proche de celle de l’ADN. Elles vont, au contact de l’ADN, en traduire des extraits, pour les mettre à disposition au reste de la cellule.

À partir de là, la cellule va interpréter comme elle le peut les phrases contenues dans l’ARN et agir en conséquence. Donc même en restant à ce niveau de compréhension, on voit tout de suite que si les scientifiques arrivaient à maîtriser l’ARN, cela ouvrirait des perspectives immenses dans la recherche médicale. Et d’ailleurs, comme Alexandra Henrion Caude le précise, il existe déjà nombre de traitements basés sur une connaissance spécifique des molécules à ARN.

Certains d’entre eux, injectés dans l’oeil, ont pour mission de retarder la progression de la rétinite ou d’y interférer avec des troubles vasculaires. D’autres chercheront à contrôler le cholestérol, des atrophies musculaires, ou l’amylose, ce sucre qui s’entasse sur les nerfs et altère les sens. Et cela ne couvre même pas toutes les indications des traitements ARN. Traitements ARN qui, vous l’aurez compris, sont extrèmement onéreux.

La question du prix est importante, évidemment, mais ce n’est pas la plus centrale il me semble dans l’ouvrage de la chercheuse. De mon point de vue, le paragraphe suivant, à la page 37, est le véritable tournant du livre :

L’ensemble des chercheurs s’accordent à dire que tous ces ARN sont plein de promesses, parce que même si leur mission est de faire du mal, nous pouvons les cibler et les neutraliser. Je fais un aparté ici pour dire que nous savons possiblement tout retourner en notre faveur, chaque fois que nous avançons dans la connaissance.

Et c’est dans la recherche concernant les médicaments ARN contre le cancer que l’on va comprendre toute l’ambigüité de l’industrie pharmaceutique dans cette dialectique.

Reprenons.

Nous savons depuis l’antiquité que toute connaissance n’est en soi ni bonne ni mauvaise. Tout dépend de l’usage qu’on en fait.

Donc à priori des firmes qui essayent d’utiliser ce que nous savons sur l’ARN, qu’il soit messager ou pas, pour résoudre le problème du cancer, sont sur une voie bénéfique.

Sauf que de toute évidence, elles ne sont pas sur le chemin de la connaissance. J’en veux pour preuve leur réaction à chaque fois que leurs cobayes humains meurent en testant leurs traitements contre le cancer.

Dans ces conditions, de vrais chercheurs chercheraient à comprendre ce qui ne s’est pas passé comme prévu. Quelle hypothèse était peut-être faible ? Quel phénomène ont-ils sous-estimé ? Comment modifier leur modèle pour qu’il soit plus prédictif ?

Et c’est cela qui fait avancer la science, la connaissance. Des expériences ne donnent pas le résultat escompté, il se passe des phénomènes inatendus, le scientifique essaye de comprendre pourquoi, et il trouve de nouvelles hypothèses, qui si elles sont confirmées par des résultats ultérieurs, viendront enrichir le corpus du savoir.

Or dans le cas des BionTech, Moderna et compagnie, ce n’est pas du tout ce qui se passe. Un médicament ne marche pas ? Si on a le droit de le vendre on le vend quand même ; et plus grave encore, si on a pas le droit de le vendre, on ne cherche même pas à comprendre ce qui cloche d’un point de vue scientifique et on passe au suivant.

Ces gens-là fonctionnent par essais successifs, mais ils ne comprennent strictement rien à ce qu’ils font. Ce sont des apprentis sorciers.

Les apprentis sorciers – Tout ce que l’on vous cache sur l’ARN messager – Alexandra Henrion Caude – ALBIN MICHEL – Versilio – 160 pages – en vente dans toutes les bonnes librairies